CHAPITRE XVI
Dans la bibliothèque, Giles continuait sa quête.
Plusieurs ouvrages très anciens étaient ouverts sur la table. Il les examina successivement, lisant certains passages et s’interrogeant sur leur sens véritable. Ça faisait déjà un bon moment qu’il cherchait. Son expression était lasse, mais toujours déterminée.
Il se leva pour prendre un nouveau volume sur les rayonnages, le feuilleta et découvrit quelque chose d’intéressant. A voix haute, il traduisit le latin :
— … Car ils se rassembleront et seront rassemblés. Tout ce qui est à eux sera à lui… Du Calice coule la vie.
Giles marqua une pause et répéta, pensif :
— Coule la vie…
Il étudia la gravure figurant à côté du texte qu’il venait de lire. Une hideuse créature, mi-homme mi-bête, tendait la main vers une foule de villageois ensanglantés. Au-dessous d’eux, dans ce qui était peut-être une représentation de l’enfer, un démon était nimbé d’une aura de pouvoir.
Giles plissa les yeux et se pencha vers l’ouvrage. Sur le front de la créature, il remarqua un symbole grossier : une étoile à trois branches.
Il rajusta ses lunettes et recommença à lire.
— La nuit de la lune montante, le lendemain du solstice, il viendra.
Le bibliothécaire se raidit.
— Evidemment, marmonna-t-il. Ce soir.
*
* *
— On va au Bronze ce soir ? demanda Harmonie à sa voisine de pupitre.
Elles étaient en cours d’informatique, et ce n’était pas la matière préférée de Cordélia. Comme d’habitude, tandis que les autres élèves tapaient fiévreusement des lignes de programme, les ordinateurs restaient le dernier souci de la jeune fille.
Elle jeta un coup d’œil à Harmonie, avec qui elle travaillait en binôme. Sa partenaire était en train de se débattre avec l’énoncé du projet. Elle réalisa que Cordélia n’avait pas entendu sa question.
— Non ! s’exclama la jeune fille, frustrée. Ce truc est censé trouver les erreurs de syntaxe et les corriger. Attends un peu…
Harmonie garda les yeux rivés sur le clavier et enfonça une touche en hésitant.
— On va au Bronze ce soir ? répéta-t-elle.
— Non, répliqua sèchement Cordélia. On ira dans l’autre boîte à la mode de Sunnydale.
Harmonie lui jeta un regard interloqué ; elle soupira.
— Evidemment qu’on va au Bronze ! C’est vendredi, on ne peut pas y échapper. Mais tu aurais dû venir hier soir.
Au lieu de demander pourquoi, Harmonie relut son travail et fronça les sourcils.
— Je crois que les dernières lignes sont fausses, fit-elle remarquer.
Cordélia prit un air de martyre.
— Pourquoi faut-il écrire ces maudits programmes ? soupira-t-elle. C’est à ça que servent les matheux, non ? (Elle jeta un coup d’œil au pupitre voisin, celui de Willow.) Tu n’as qu’à copier ce qu’elle a fait, marmonna-t-elle.
Harmonie se tordit le cou pour regarder l’écran de leur camarade. Apparemment, Willow était perdue dans son petit monde à elle. Sans se soucier du reste de la classe, elle surfait sur Internet, faisant défiler des kilomètres de texte et cherchant Dieu sait quoi…
Harmonie haussa les épaules.
— Elle ne bosse pas sur le programme, dit-elle à Cordélia.
Surprise, la jeune fille se pencha pour vérifier par elle-même. Willow s’affairait devant son ordinateur, le front plissé par la concentration.
Cordélia ricana.
— D’accord, dit-elle à contrecœur, en essayant de s’intéresser à leur programme. Essaye « Pattern run »… Ou « Go to end ». Ça devrait marcher.
Harmonie se mordit la lèvre.
— Je ne crois pas que…
— Eh bien, tu n’as qu’à consulter le manuel ! s’impatienta Cordélia.
Pendant qu’Harmonie étudiait la procédure, elle s’efforça une fois de plus de lui raconter les derniers ragots.
— Bref, quand je suis sortie du Bronze, elle s’est précipitée vers moi en brandissant une batte de base-ball et en hurlant : « Je vais te tuer ! » C’est la pure vérité.
— De qui tu parles ? demanda Jared, un des types les plus mignons de la classe.
Il se pencha en arrière pour écouter Cordélia. Un sourire de satisfaction se peignit sur les lèvres de la jeune fille : elle avait enfin un auditoire.
— De Buffy, répondit-elle.
— La nouvelle, ajouta Harmonie.
Jared eut l’air étonné.
— Qu’est-ce qu’elle a ?
— Elle est folle, déclara péremptoirement Cordélia.
— J’ai entendu dire qu’elle s’était fait virer de son ancien bahut, ajouta Harmonie sur un ton de conspiratrice.
— Bizarrement, je n’en suis pas surprise, ricana Cordélia.
Jared recula sa chaise vers les deux filles.
— Pourquoi s’est-elle fait virer ?
— Parce que c’est une psychopathe ! affirma Cordélia.
— C’est faux, dit une voix calme mais ferme.
Les trois jeunes gens se tournèrent vers Willow. Cordélia la toisa avec stupéfaction. Personne, y compris sa mère, n’avait jamais osé la contredire. Il lui fallut un moment pour réaliser ce qui venait de se produire.
— Je te demande pardon ? lâcha-t-elle, glaciale.
— Buffy n’est pas une psychopathe, déclara Willow. Comment peux-tu dire une chose pareille ? Tu ne la connais même pas !
— De quel droit m’adresses-tu la parole ? brailla Cordélia, indignée. Et d’abord, qui t’a donné la permission d’exister ? Est-ce que je me mêle de tes conversations ? Non. Pourquoi ? Parce que tu es trop ennuyeuse.
Une lueur chagrinée passa dans le regard de Willow. Elle baissa les yeux, puis se leva et saisit les feuilles qui venaient de sortir de son imprimante tandis que Cordélia et les autres retournaient à leur projet.
— Là ! s’exclama enfin Harmonie. Je crois que ça y est.
Cordélia hocha la tête.
— Enfin, le cauchemar se termine. Comment sauvegarde-t-on ce truc ?
Willow se dirigeait vers la porte. Elle jeta un coup d’œil par-dessus son épaule et laissa tomber :
— « Deliver ».
Cordélia baissa la tête vers son clavier.
— « Deliver »… Où ? Ah !
Elle repéra une touche marquée DEL et appuya dessus avec un ongle manucuré.
Sous ses yeux horrifiés, le programme avec lequel elle venait de se débattre pendant une heure s’effaça.